À propos  |  Nouvelles  |  Blogue  |  Points de vue  |  Infolettre  |  Aperçus  |  Ressources  |  Index  |  Flux RSS  English

 

AddInto

 

Points de vue

Ingrid Bétancourt : la marée qui se lève

Zoël Breau

Ex-coordinateur de L'Arche Canada, Zoël est actuellement en sabbatique dans la communauté El Arca Argentina.

Inspirante d'humanité, Ingrid Bétancourt. Non pas tant par ce qu'elle dit que par ce qu'elle se refuse à dire. Notamment, en ce qui touche l'inhumanité de ses geôliers. Inhumanité qu'elle ne nie pas mais qu'elle se refuse à nommer. Pourquoi, alors que nous regardons sidérés les images humiliantes de sa détention, Ingrid Bétancourt détourne-t-elle les yeux s'interdisant de les regarder?

Nous pourrions en effet chercher ici une explication d'ordre psychologique ou thérapeutique.  Pourtant, la force tranquille qui émane d'Ingrid Bétancourt et, surtout,  l'absence de toute aigreur ouvre en effet la porte à une explication d'un tout autre ordre. Voilà qui est remarquable et inhabituel. Ingrid Bétancourt aurait-elle compris durant sa longue captivité quelque chose qui nous échappe?

La torture, sous toutes ses formes, physique ou psychologique, vise à détruire toutes les formes de l'appartenance. Chaque objet, chaque lieu, chaque relation, la nature même, tout ce qui pouvait nous apparaÎtre encore familier ou sécurisant est détourné de son sens premier et devient menace à l'intégrité physique, psychologique et spirituelle. Systématiquement, le geôlier renverse le mouvement de la civilisation et  procède à une déstructuration du prisonnier et de son monde. Telle a été sans doute l'expérience d'Ingrid Bétancourt, expérience qu'elle garde sous silence.

De retour en studio, la photo qu'Ingrid Bétancourt se refuse à regarder, a été prise, nous dit-elle, au pire moment de sa captivité. Quant à nous, spectateurs de la tragédie, nous avons à l'encontre de celle-ci, depuis longtemps perdu notre sensibilité au pouvoir de l'image. Sur cette photo, le  geôlier a presque atteint son but. L'univers d'Ingrid Bétancourt ne s'étend plus que sur 2 mètres carrés dépassant à peine les limites de son propre corps. La fragilité totale, physique et psychologique y est représentée. Elaine Scarry dans son livre The Body in Pain qualifie cet état résultant de la terreur, de la violence et de l'isolation de "un-making of the world." Nous pourrions aussi parler de 'déshumanisation totale' ou de 'perversion des liens d'appartenance'.  

Il y a dans ce site une très belle métaphore sur La mer et la vie. Elle souligne que la vie à l'instar de la marée se retire uniformément de tous les rivages. Lorsqu'elle est attaquée dans une culture, une institution ou, comme c'est le cas ici, dans une seule personne, celle-ci se retire implacablement de toutes ses manifestations. Relations, institutions, maisons, villes, œuvres d’art, rien n'échappe alors à ce mouvement de retrait. Le retour à la vie ne peut s’opérer que de la même manière, simultanément dans toutes les manifestions de la vie.

Serait-ce là la leçon de ses six années de captivité? Ingrid Bétancourt aurait-elle acquis une sagesse qui nous échappe?  Une compréhension que la vie ne peut naître que de la vie. Que celle-ci est indivisible et que sa force réside justement dans cette cohésion qui inspire chacun de nos actes, et même de nos regards. Sa force tranquille n'évoque-t-elle pas  la marée qui se lève?

1. The Body in Pain, The Making and Unmaking of the World, Oxford University Press, 1985

 

Infolettre

Pour demeurer au courant des nouveautés du site, abonnez-vous à notre infolettre.
 
Nouvelles

1 Français sur 10 est seul et 1 sur 4 risque de le devenir

Selon une étude de la Fondation de France, rendue publique le 1er juillet 2010, l’isolement touche une part importante de la population française, et cela dès l’âge de 40 ans. Face à ce constat,...

Les grandes places publiques du monde

New-York, 22 décembre 2008. Un groupe new-yorkais oeuvrant dans le cadre du Project for Public Spaces (PPS) vient de dresser une liste dessoixante(60) places ayant la faveur du...

 

Le blogue de
Jacques Dufresne

L'éditeur de L'Encyclopédie de L'Agora analyse l'actualité à travers le thème de l'appartenance.
Entrées récentes
Vivre ou fonctionner?
Une alternative au sport moderne: le sport durable
La résilience d'Haïti