AddInto

 

2009-12-14 16:03:43

La démesure dans l'utilisation de l'énergie fossile bon marché est aussi dommageable pour
 a société que pour la nature. Dans ces conditions, pour atteindre la même fin, la mesure dans l'usage de l'énergie fossile, ne serait-il pas plus sage de lancer un mouvement pour l'appartenance, plutôt que contre les émissions de C02?

Lors de la conférence des Nations Unies sur le changement climatique, qui se tiendra à Copenhague du 7 au 18 décembre prochains, il ne sera question que du contrôle des émissions de C02 et des énergies vertes qui peuvent remplacer avantageusement les énergies fossiles. Le Danemark en profitera pour donner au reste du monde l'exemple d'un pays qui maintient un haut degré de croissance économique tout en tirant 20% de son énergie de sources propres, telles les éoliennes.

L'aspect social de la question sera marginal, sinon hors d'ordre. Cet aspect est pourtant loin d'être négligeable. Dès le début de la décennie 1970, à l'occasion de la première crise de l'énergie, Ivan Illich, dans un livre intitulé Énergie et équité, a rappelé que la démesure dans l'utilisation de l'énergie fossile bon marché était aussi dommageable pour la société que pour la nature. «L'utilisation de hauts quanta d'énergie a des effets aussi destructeurs pour la structure sociale que pour le milieu physique. » 1L'explication est simple: les esclaves mécaniques à notre service renforcent notre sentiment de puissance et nous éloignent de cette fragilité consciente d'elle-même qui nous aide à accepter les contraintes d'une vie sociale intense. Ce qui est d'abord vécu comme une libération – ne plus avoir à puiser l'eau du puits – devient vite une aliénation: on croit qu'on peut se passer de l'entraide communautaire, on s'isole puis on devient étranger aux autres et par suite à soi-même.

L'un des signes du tort fait à la société c'est l'affaiblissement du sentiment d'appartenance. L'étalement urbain, rendu possible et souvent nécessaire par l'énergie bon marché, a pour effet d'éloigner les gens à la fois de leur maison, où ils ne font que dormir et de leur ville, associée exclusivement à leur travail. Les grands urbanistes comme Lewis Mumford et Jane Jacobs n'ont pas attendu le changement climatique pour déplorer ce fait.

Le même problème se pose à la campagne. Entre le village de North Hatley et la fermette où nous vivons, la distance est de 16 kilomètres. Quand je fais le trajet en voiture, il ne me vient même pas à l'esprit de m'arrêter pour observer de près un jardin et causer avec ceux dont il est la fierté. La première fois que j'ai fait le même trajet à pied, c'était au début de mai, je suis allé de découverte en découverte et de conversation en conversation. Comme tant d'autres avant moi, j'ai compris que l'appartenance à un paysage et l'appartenance à une communauté sont des choses indissociables.

Pour atteindre la même fin, la mesure dans l'usage de l'énergie fossile, ne serait-il pas plus sage de lancer un mouvement pour l'appartenance, plutôt que contre les émissionsde C02?

Les musulmans vont plus loin. Ils veulent désormais associer le sentiment religieux à l'appartenance à la communauté et au paysage. Ils estimaient auparavant que la question de l'environnement devait être complètement séparée de la religion. Sheikh Ali Goma’a, Grand Mufti d'Égypte, a lancé un plan de 7 ans visant à transformer le pèlerinage à la Mecque en une expérience conviviale, en une occasion de se rapprocher à la fois des hommes, de la nature et de Dieu.2

N'est-ce pas dans le même esprit que le pèlerinage de Compostelle revit en ce moment? Pour Jean Vanier également, l'appartenance ne peut être que multiple. C'est là à ses yeux une loi de la vie intérieure. «Plus nous avançons sur le chemin de la paix intérieure et de l'intégrité, plus le sens de l'appartenance croît et s'approfondit. Ce n'est pas seulement l'appartenance aux autres et à une communauté qui est en cause, mais aussi l'appartenance à l'univers, à la terre, à l'eau, à tout ce qui vit, à toute l'humanité. »3 La campagne européenne telle que l'ont façonnée les moines cisterciens au Moyen Age est souvent citée en exemple à imiter par les écologistes, notamment par René Dubos, l'auteur de la formule «Penser globalement, agir localement». Suivre un tel exemple c'est s'engager dans une voie où la vie intérieure donne le ton à toutes les autres manifestations de la vie. «Cet endroit a beaucoup de charme, il apaise grandement les esprits lassés et soulage les inquiétudes et les soucis; […]. Le visage souriant de la terre y prend des teintes variées, la bourgeonnante verdure du printemps satisfait notre vue, et ses suaves senteurs flattent notre odorat... Et si la beauté de la campagne me charme extérieurement par sa douce influence, je n'en éprouve pas moins des délices intimes, en méditant sur les mystères qu'elle nous cache.»4C’est ainsi que saint Bernard évoquait le site de Clairvaux où il devait établir un monastère.

Deuxième partie :  Le rôle essentiel des personnes vulnérables dans la résilience sociale

Notes

1 Ivan Illich, Oeuvres complètes, Vol.1, Fayard 2004, p.383. 2 https://en.cop15.dk/news/view+news?newsid=2650 3 Source à préciser 41. Cité par René Dubos dans Les dieux de l'écologie, Fayard, coll. Écologie, Paris, 1973.

Jacques Dufresne est éditeur de L'Encyclopédie de L'Agora. Fondateur de la revue Critère, chroniqueur à La Presse et au Devoir pendant de nombreuses années, il a organisé des colloques et des débats qui ont laissé leur empreinte sur la société québécoise. [Suite...]

Infolettre

Pour demeurer au courant des nouveautés du site, abonnez-vous à notre infolettre.
 

Commentaires

2010-04-19 10:46:58
Katia Bellisle
2010-04-19 05:28:31
Danielle Fisch
2010-04-12 07:54:47
annie grandmont
2010-04-06 13:16:27
Benoît Lemaire
2010-04-05 17:32:16
Eric Volant
2010-04-05 15:59:04
J-P Proulx
2010-04-04 17:41:23
Christian Duclos
2010-03-24 07:24:53