2010-02-17 21:58:14

Pour obtenir des résultats fructueux à la suite d’un désastre, il faut, comme dans toutes les interventions planifiées, une conscience et une attention stratégique bien ciblée pour renforcer les sentiments d’appartenance et créer les conditions qui permettent aux citoyens de résoudre eux-mêmes leurs problèmes.

Pendant que les médias du monde entier en sont encore à montrer les gigantesques défis quotidiens des Haïtiens, je suis obsédé par l’extrême importance de les aider également à reconstruire leurs infrastructures et leurs institutions. Selon moi, nos projets, nos planifications et nos ressources devraient prioritairement être consacrés à cela.

Il y a suffisamment et même peut-être trop d’argent, de matériel et de personnel disponibles actuellement. Notre tâche en est une de logistique, de distribution et d’allocation de ce qui a déjà été fourni. Paul Farmer, professeur du Medical School de Harvard qui a passé une grande partie de sa vie en Haïti a insisté sur le fait, lors d’une entrevue à la radio de CBC, le 14 février dernier, que la nourriture, l’eau, le matériel médical et surtout le plus important, les médecins et les infirmières, n’atteignent pas encore la totalité des Haïtiens.

Mais que dire d’un autre défi encore plus crucial? Ce qu’il advient quelque temps après les désastres des actions d’entr’aide nous montre que l’attention du monde entier sera éventuellement sollicitée par un autre événement; les secours financiers diminueront car l’attention des donateurs se portera ailleurs. Dix ans après la guerre des Balkans, par exemple, il ne restait que peu de ressources pour poursuivre la reconstruction, malgré l’injection extraordinaire de fonds . Le journaliste Don Cayo du Vancouver Sun a fait le décompte des exemples de réussite et d’échec qui ont suivi un désastre. Sa conclusion c’est que les meilleurs exemples doivent leurs succès au leadership local.
 

Cayo cite Akash Kapar, un reporter qui vit dans le Sud-Est de l’Inde où 50 000 nouvelles maisons ont été construites et enregistrées au nom des femmes, cinq ans après le tsunami du 26 décembre. « En instituant les femmes propriétaires de ces maisons on a transformé les revenus économiques des propriétés. Cela a changé même le tissu social de cette côte. Dans chacun des villages visités, j’ai entendu les récits de femmes dont le statut a été complètement transformé. Les épouses me faisaient part d’un plus grand contrôle sur les finances de la maisonnée et d’une plus grande confiance en elles-mêmes. Les mères avaient pu faire en sorte que leurs filles aillent à l’école. »

Pour obtenir des résultats fructueux à la suite d’un désastre, il faut, comme dans toutes les interventions planifiées, une conscience et une attention stratégique bien ciblée pour renforcer les sentiments d’appartenance et créer les conditions qui permettent aux citoyens de résoudre eux-mêmes leurs problèmes. Cela suppose : de susciter le désir chez chacun de venir en aide aux autres, de surmonter les mythes culturels et les blessures liées au sentiment d’incompétence, à la paresse et au désespoir; d’utiliser les aptitudes de chacun, de procurer des moments de joie et de célébration; d’être patient, de garder à l’esprit que ce qui a mis des décennies à s’édifier ne se fera pas en une nuit; de mettre les professionnels à la bonne place (c’est-à-dire, en arrière-plan); de comprendre les bonnes intentions des professionnels venus de l’extérieur mais aussi les conséquences négatives d’une trop grande dépendance à leur égard. Le tissu social d’une culture n’est ni dans les matériaux, ni dans les clous mais dans la résilience et le sentiment d’appartenance des citoyens.

  Jacques Roumain (1907-1944) est l'un des grands écrivains haïtiens. On lui doit notamment un roman intitulé Gouverneurs de la rosée où une histoire d'amour déchirante a comme arrière plan la mort des sources et la rareté de l'eau dans la campagne haïtienne. «J'ai trouvé une source qui peut arroser tous les jardins de la plaine, mais pour l'amener jusqu'icitte, faut le concours de tout le monde, un coumbite général, voilà ce qu'il faut. Baillons-nous la main, je viens vous proposer la paix et la réconciliation. Quels avantages avons-nous à être ennemis?»

On trouve tout cela dans la logique de la pensée et dans l’expérience de notre ami et mentor John McKnight, qui a créé le Asset Based Community Development Institute. www.abcdinstitute.org. John n’a pas cessé d’enseigner aux humains à reconnaître les dons, les compétences et les aptitudes de tous ceux qui ont été marginalisé, étiquetés, ignorés et exclus de la vie sociale. De la même manière, le fondateur d’Ashoka, Bill Drayton (www.ashoka.org) a créé un mouvement mondial d’entreprise sociale, fondé sur les prémisses que chaque pays de la planète possède en abondance des entrepreneurs sociaux pleins de talents et d’ingéniosité pour trouver des solutions à des problèmes locaux, régionaux ou même mondiaux. Ils ont simplement besoin des ressources nécessaires à cet effet.

J’hésite évidemment à donner des conseils à ceux qui s’occupent de reconstruire Haïti, mais je pense qu’il leur faut s’inspirer des expériences des individus et des groupes qui ont vécu des situations analogues. Cela peut fournir également à tous ceux qui, comme nous, regardent la situation de l’extérieur, des lignes directrices pour soutenir de la meilleure façon possible les Haïtiens dans la reconstruction de leur pays.

Voici quelques critères pouvant servir de guide aux actions des gouvernements, des fondations, des décideurs politiques, des donateurs, des travailleurs, des agences de développement et des individus sur place.

1-Présumer que le leadership nécessaire, les aptitudes, les talents, la détermination, l’expertise et la résilience se trouvent parmi les Haïtiens.
2- Le premier but de toutes les interventions, actions, aide, ressources, dons et bénévolat doit être de renforcer les capacités de résilience et d’adaptation des Haïtiens à résoudre leurs propres problèmes.
3-Les leaders haïtiens locaux doivent diriger toutes les interventions et ressources en provenance de l’extérieur.
4- Ne pas détruire le tissu social de l’appartenance et de la résilience. S’assurer que toutes les interventions, intentionnelles ou non, n’érodent pas le sentiment d’appartenance qui existe manifestement à Haïti : l’équivalent du premier principe du serment d’Hippocrate : d’abord ne pas nuire!
5-Rechercher et soutenir les innovations et la créativité locales. C’est le fondement même du modèle d’Ashoka. Depuis plus de 25 ans, les dirigeants se sont appliqués à découvrir les leaders locaux talentueux et à leur fournir les ressources pour susciter et réaliser leurs idées.

Ressources:

From Clients to Citizens: Communities Changing the Course of Their Own Development
Alison Mathie & Gordon Cunningham, (Eds.), 2008.

Créé grâce à un partenariat entre ABCD Institute et le Coady International Institute at St. Francis Xavier University, Coady s’occupe depuis cinquante ans de la pauvreté et des injustices dans le monde.

https://www.standwithhaiti.org/haiti .  Paul Farmer est le fondateur de cet organisme. La grande majorité des partenaires des hôpitaux et du personnel médical de Haïti sont des Haïtiens.

Al a un blog et intervient dans un certain nombre de sites sur le Web. Pour en savoir plus sur ses blogs et ses commentaires : www.aletmanski.com

Traduction : Hélène Laberge, 17 février 2010

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