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2010-02-01 23:49:41

Les villes de Medellin en Colombie et de Kampala en Ouganda pourraient servir de de modèles à Haïti. Dans le premier cas, on a réduit le taux d'homicide de 90%  en offrant «le plus beau aux plus humbles», dans le second on a amélioré le sort des pauvres grâce à l'agriculture urbaine. Dans l'un et l'autre cas on a démontré que l'aide extérieure la plus efficace est celle qui récompense les premiers succès spontanés, non celle qui multiplie les occasions de dépenser aveuglément, ni celle qui transite par les filières technocratiques et politiques. Pour découvrir ces succès spontanés, il faut du temps et pour suivre le rythme de ces succès, les donateurs,  pays, institutions internationales, fondations  doivent échelonner leurs contributions sur une longue période.

En 1961, il m'a été donné de participer à la reconstruction de la ville de Concepcion au Chili, suite à un tremblement de terre qui avait frappé la région peu de temps auparavant. J'avais 19 ans, je ne doutais de rien, j'étais l'un des deux délégués du Canada à un congrès international d'étudiants qu'on avait eu la bonne idée de tenir dans une ville sinistrée et de combiner avec un camp de travail. Chaque participant avait ainsi l'occasion de poser des gestes de solidarité concrets entre deux discussions sur l'avenir de la planète; ou plutôt de l'humanité, car à ce moment-là l'avenir et le destin des hommes n'étaient pas liés à celui de leur habitat. En principe, nous devions palabrer le matin, et travailler l'après-midi. Je dis en principe, car dès le premier jour il fut évident qu'il n'y aurait pas foule sur le chantier de reconstruction. Six seulement parmi les quelque deux cents participants avaient apporté des vêtements de travail: les deux Canadiens, les deux Américains et les deux Allemandes de l'ouest.

Fidel Castro venait de prendre le pouvoir à Cuba, soulevant un immense espoir la plupart des associations étudiantes, déjà communistes en majorité. Les lendemains qui chantent c'était demain et en attendant on qualifiait, avec mépris, de microsolution l'utilisation de la faucille et du marteau sur le chantier. Les émules de Fidel ne semblaient pouvoir imiter de lui que ses interminables discours. L'irréalisme des théories que l'on présentait comme les macrosolutions de l'avenir atteignit un degré tel que j'ai noté dans mon journal: «Le Chili sera le cimetière du communisme en Amérique latine.»

Les maisonnettes que l'aide internationale permettait de construire portaient aussi la marque de la tristesse soviétique tout en rappelant par leur alignement, sur un terrain dénudé, les bungalows que l'on construisait alors au Canada, de Saint-Jean Terreneuve à Vancouver, à partir du même modèle rectangulaire. Ce voyage m'a immunisé à la fois contre le communisme et contre le développement international.

Je garde par contre un souvenir enchanté d'une baraque de six mètres par deux mètres située au coeur du barrio le plus pauvre de Santiago. Les Petits frères de Charles de Foucault qui l'habitaient avaient réussi à lui donner une âme en agençant les quelques meubles et objets qu'ils possédaient avec un goût parfait. Je revois encore dans la cour minuscule, le vélo rangé à la verticale près de l'oranger. Pour accéder comme eux aux premières conditions du bonheur : la vie et la beauté, il suffisait à leurs voisins de partager leur inspiration. L'inspiration transforme les abris les plus humbles en poèmes et en son absence les chefs d'oeuvre du design ne sont que de froides et spacieuses prisons.

Ce souvenir m'a aidé à comprendre le mot de Dany Laferrière (Prix Médicis 2009) à un représentant d'Architecte Urgence (UA) qui venait de déclarer qu'il fallait aller au plus urgent et au plus pratique dans la reconstruction d'Haïti. « Non, répliqua l'écrivain québécois d'origine haïtienne: la culture sauvera Haïti ». Certes, il faut d'abord procurer un abri temporaire aux gens, mais la solidarité mondiale dont on est témoin en ce moment permet d'espérer que même cet abri sera beau.

Comment l'inspiration, premier moment de la résilience, peut-elle se manifester en pareilles circonstances? Les petits Frères de Charles de Foucauld du Chili m'ont convaincu d'une chose. L'aide extérieure nécessaire à un pays sinistré, Haïti en l'occurrence, à défaut de pouvoir être remise directement à la population, doit passer par les intermédiaires étrangers les plus enracinés dans la population et par les membres de la diaspora ayant conservé des liens organiques avec leur pays d'origine. C'est la meilleure règle à suivre pour pouvoir repérer les leaders et les initiatives heureuses et leur accorder ensuite le soutien nécessaire. L'aide extérieure la plus efficace est celle qui récompense les premiers succès spontanés, non celle qui multiplie les occasions de dépenser aveuglément, ni celle qui transite par les filières technocratiques et politiques. Pour découvrir ces succès spontanés, il faut du temps et pour suivre le rythme de ces succès, les donateurs  pays, institutions internationales, fondations  doivent échelonner leurs contributions sur une longue période. Mes amis de l'Arche et de Plan connaissent ces questions bien mieux que moi. Je m'en remets à eux sur ce point, pour revenir en conclusion sur la question de la beauté, et de la vie dont la beauté est l'expression.

Deux modèles pour Haïti: Medellin et Kampala

Medellin

Medellin ? Comment une telle ville, refuge des cartels de la drogue, pourrait-elle être considérée comme une source d'inspiration pour d'autres villes? En 1991, le taux d'homicides y était de 381 pour 100 000 habitants, soit 6 300 pour l'année, la ville comptant alors un peu moins de deux millions d'habitants. Ce taux était tombé en 2007 à 26 pour 100 000 habitants soit une réduction de (90%) quatre-vingt-dix pour cent.

Entre temps, Sergio Fajardo, un universitaire professeur de mathématiques, entouré de citoyens engagés ainsi que d'amis architectes et designers, eut la bonne idée de présenter sa candidature à la mairie avec des propositions comme celles-ci: Le plus beau pour les plus humbles ! De la misère à la beauté ! Medellin incluyente ! Vers la justice préventive ! Place au microcrédit ! Fajardo sera maire de Medellin de 2004 à 2007 . Il est aujourd'hui candidat à la présidence de la Colombie. Il a lancé sa campagne en publiant sur ses réalisations à Medellin un livre : Del miedo a la esperanza, De la peur à l'espoir. Quiconque s'intéresse à l'innovation globale, c'est-à-dire à l'innovation sociale organiquement liée aux autres formes d'innovation: culturelle, économique, écologique, doit se faire un devoir d'apprendre l'espagnol pour lire ce livre.

Bien qu'elle semble à première vue un peu simpliste, un peu trop inspirée par le behaviorisme, la méthode de Sergio Fajardo s'est avérée efficace. Réduisez votre taux de criminalité et la municipalité embellira votre quartier, en y construisant, par exemple, un parc bibliothèque, c'est à dire un bel édifice, entouré d'espaces verts, un lieu de rassemblement pour les gens en même temps que pour les livres et les ordinateurs. Nous croyons, dit le directeur de l'un des parcs, «que nous pouvons apprendre mieux quand nous faisons partie d'une communauté».

Kampala

Quarante pour cent (40%) des 1 million deux cent mille habitants de Kampala, capitale de l'Ouganda, vivent dans la pauvreté extrême. Ils avaient depuis longtemps commencé à pratiquer l'agriculture urbaine, mais ils le faisaient dans l'illégalité, jusqu'au jour, où faisant de nécessité vertu, l'élevage de la volaille, produisait déjà quarante pour cent (40%) de la nourriture de la ville. Non seulement cette proportion s'est-elle accrue depuis, mais comme Kampala a été la première ville de cette région de l'Afrique à légaliser l'agriculture urbaine, elle a retenu l'attention des organismes subventionnaires, tel le CRDI (Conseil de recherche pour le développement international), société d'État canadienne qui pilote désormais à Kampala le projet: « Construire une collectivité durable et unie grâce au recyclage des déchets et au négoce agricole ». Ici comme à Medellin, on repère les premiers succès et on soutient ensuite ceux qui en ont eu l'idée. Le directeur du projet, Jean D'Aragon, a par exemple observé un citoyen de Kampala qui faisait sécher des pelures de bananes pour les servir ensuite à ses poules. Après analyse de cet aliment, il a conclu qu'il constituait pour la volaille un aliment aussi nourrissant que le maïs, et beaucoup moins coûteux.

Autour de Kampala, il y a, comme dans bien des régions d'Haïti, des collines déboisées qui provoquent des inondations en plus d'entraîner vers le fond des vallées les détritus de la ville, dont les pelures de bananes. L'équipe de Jean D'Aragon s'efforce de régler ce problème en misant sur les initiatives prometteuses des habitants. Les pelures de bananes séchées réduisent la quantité de détritus, créent des emplois et renforcent la solidarité locale, car désormais au lieu de jeter leurs peaux de bananes dans la vallée, les gens se font un plaisir de les donner à leur ingénieux voisin.

Des initiatives de ce genre, on pourrait en repérer des centaines dans le monde en ce moment, plus qu'il n'en faut pour aider les Haïtiens à faire les bons choix. Merci au magazine Utne Reader, au magazine d'architecture Bomb et à la revue Momentum de l'Université du Minnesota qui nous ont mis sur la piste de Medellin et de Kampala.

Notes

1-Entre 2007 et 2009, le taux d'homicide à Medellin est remonté à 62 pour 100 000 . Les taux d'homicide les plus élevés en 2009 furent ceux de Juarez au Mexique, 119/100 000 ; de Caracas, 94/100 000 ; Cali, 73/100 000 ; La Nouvelle Orléans, 69/100 000. Au Canada, le taux a été en 2008, de 2,5 à Vancouver, 1,9 à Toronto et 1,3 à Montréal. Source: Columbia Reports

Jacques Dufresne est éditeur de L'Encyclopédie de L'Agora. Fondateur de la revue Critère, chroniqueur à La Presse et au Devoir pendant de nombreuses années, il a organisé des colloques et des débats qui ont laissé leur empreinte sur la société québécoise. [Suite...]

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Commentaires

2010-04-19 10:46:58
Katia Bellisle
2010-04-19 05:28:31
Danielle Fisch
2010-04-12 07:54:47
annie grandmont
2010-04-06 13:16:27
Benoît Lemaire
2010-04-05 17:32:16
Eric Volant
2010-04-05 15:59:04
J-P Proulx
2010-04-04 17:41:23
Christian Duclos
2010-03-24 07:24:53