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Points de vue

En direct d'Haïti: où sont donc les plus vulnérables ?

Jonathan Boulet-Groulx

L'auteur est reporter-photographe à Haïti. Il était à L'Arche Carrefou le jour du séisme. Il anime le blogue Mwen Pa Fou dans lequel il témoigne par les mots et par la photo du sort des personnes vivant avec une déficience intellectuelle dans un pays en pleine reconstruction.

Parlant de handicap… j’ai un malaise quand je marche dans les rues de Port-au-Prince et que je n’y vois pas un seul handicapé. Comme un mauvais présage que ceux qui sont si souvent cachés à l’intérieur, rejetés, oubliés, que ceux qui n’ont pas de voix, qu’ils soient victimes de leur statut d’exclus. Est-il possible, vraiment, que dans un pays où l’on estime à 10% de la population le nombre de personnes handicapées, nous n’arrivions pas à en voir ne serait-ce que quelques-unes rôder dans les rues, à la recherche d’eau ou de nourriture? Ce n’est qu’une inquiétude, une idée qui me passe par la tête quand je marche dans les décombres… Les personnes touchées par un handicap, tant physique qu’intellectuel, sont peut-être, peut-être seulement, les premières victimes de ce drame.

Mwen pa te vle rete nan fè nwa!*

Port-au-Prince est mort. L’Arche de Carrefour est en vie, en survie…

Il me fallait voir… maintenant je sens. La mort, vous savez ce que ça sent? Mauvais.

Ça sent mauvais la mort. Mais l’espoir sent meilleur, et tous les amis sont là, devant mes yeux, en vie, alors on travaille au moral, dans une situation sans morale, pour ne pas sombrer dans un précipice de détresse.

Port-au-Prince est mort. Ça se sent. Port-au-Prince est mort, ça se voit.

La communauté va bien, malgré les nuits à la belle étoile. Parce qu’elles sont restées belles les étoiles. Dire que la communauté va bien, c’est surtout dire que tous sont en vie. Et ça, c’est déjà beaucoup. Juste à voir les décombres dans la ville, juste à sentir la ville, juste à entendre les histoires, c’est déjà beaucoup d’être en vie. Et j’en arrive à cette histoire banale mais extraordinaire, d’une jeune femme qui en a sauvé plus d’un, par la force de son courage. Marie-Pier est arrivée à L’Arche de Carrefour le 20 octobre dernier.

Trois mois. Trois mois qu’elle donne tout ce qu’elle a pour la communauté. Et voilà que le ciel lui tombe sur la tête, que dame nature lui montre sa force, que les plaques tectoniques s’entrechoquent et laissent à un pays un triste goût de déjà vu. La misère, eh bien! elle engendre la misère et c’est dans des catastrophes comme celle-ci qu’on le remarque.

Toujours est-il que Marie-Pier, dans la soirée du 12 janvier, s’est montrée plus que courageuse en retirant des décombres les voisins encore vivants. Elle et un autre voisin, à grands coups de pique et de sueurs, ont rescapé huit individus. Peut-être ne le savez-vous pas mais ici, cela s’appelle héroïsme. Lorsqu’elle reviendra au pays, n’oubliez pas de le souligner. Parce que c’est dans le courage du quotidien qu’on découvre la grandeur des individus.

Depuis cette soirée, beaucoup d’eau a coulé sous le pont de nos attentes. Les assistants ont construit une douche, une toilette, pour garder tout notre monde propre. C’est merveilleux de voir les gens travailler avec si peu quand l’espoir du renouveau n’existe même pas. Ce qui est arrivé est trop gros pour imaginer l’avenir (l’à venir), alors on bûche au quotidien pour ne pas trop penser.

Quoique, quand on y pense, ce n’est pas la fin du monde de dormir dehors. Lorsque le matin je me réveille et que je regarde Samuel, sourire aux lèvres, je me dis que la situation pourrait être pire. Ce que je fais aujourd’hui je n’avais jamais eu à le faire : je remercie la vie d’avoir sauvé notre communauté. C’est un si beau geste de sa part qu’il ne faudrait pas oublier de le lui rendre au centuple. Nos maisons sont inhabitables mais elles sont debout. Voilà pourquoi nos amis sont là.

Il est de ces jours sans pluie où la terre est abreuvée des rivières de larmes qui jaillissent du pays en entier. Un peuple en deuil, voilà comment on ressent les évènements en marchant dans les rues. Puis, on glisse nos corps à travers la barrière de L’Arche, nos yeux fatigués de voir le chaos, nos oreilles épuisées d’entendre les voix parler de mort, nos corps desséchés par le manque d’eau dans la ville, cuits comme des petits pains chauds au soleil des Caraïbes. À peine passée la barrière, notre pouls décélère, notre tête s’allège. Dehors, c’est le bordel comme dirait mon vieil oncle Henri. Les gens sont couchés dans la rue, avec leurs quelques possessions, souvent avec pour seuls biens leurs enfants vivants et les vêtements qu’ils portent sur leur dos. En fait ce n’est pas compliqué, dehors, il y a du monde partout! Puis, on pénètre sur le terrain de la communauté, habité par des dizaines et des dizaines de gens : des voisins, les amis, les assistants, leur famille. Un calme y règne, comme un lieu de repos sur le chemin de Compostelle. Pourtant, les gens à l’intérieur s’activent! Il faut préparer les repas, qu’on prend deux fois par jour, préparer le terrain en aménageant cuisine, chambres au grand air, salle d’eau, un coin pour laver le linge aussi… On s’occupe des amis, ou ils s’occupent de nous, ça dépend des heures. Et parlons-en de nos amis…

C’est si difficile de comprendre ce qui se passe depuis quelques jours en Haïti, comment l’expliquer de façon simple? Surtout pour des gens qui ont une déficience de l’intelligence? Comment leur faire comprendre l’incompréhensible situation?Ah! Nous oublions trop souvent que ce sont des gens de cœur, avant que d’être des gens de tête. Ce que nous ressentons, ils le ressentent aussi, et ce que nous communiquons à travers notre façon d’agir, ils le captent mieux que quiconque. Plus encore! Bien que leur routine soit incroyablement déstabilisée, ce sont eux qui s’adaptent le mieux. Pour certains, comme Samuel, la vie de bohême sans domicile fixe est un lieu de fête. Pour d’autres, comme Bernadette, c’est un lieu de prière et de rencontres. Pour Joseph, c’est un lieu de travail, où chaque roche déplacée sert à nettoyer le terrain. Ils découvrent leur utilité propre, leur espace personnel propre, dans un chez-soi qu’ils doivent partager avec des dizaines d’autres. Rien n’est facile, ni pour eux, ni pour les assistants, mais la survie de tout un chacun, surtout la survie mentale, dépend du lien qu’il crée avec la communauté et avec les gens qui composent cette communauté.

Les besoins seront nombreux, tant dans les prochains jours que dans les prochaines semaines. Dans les prochains mois aussi. Vous devrez être généreux. Parce que nous avons une communauté complète à rebâtir, et que jusqu’à présent dans l’histoire de ce pays, l’État n’a pas été en mesure de répondre aux exigences, mêmes minimales, des personnes handicapées.

Parlant de handicap… j’ai un malaise quand je marche dans les rues de Port-au-Prince et que je n’y vois pas un seul handicapé. Comme un mauvais présage que ceux qui sont si souvent cachés à l’intérieur, rejetés, oubliés, que ceux qui n’ont pas de voix, qu’ils soient victimes de leur statut d’exclus. Est-il possible, vraiment, que dans un pays où l’on estime à 10% de la population le nombre de personnes handicapées, nous n’arrivions pas à en voir ne serait-ce que quelques-unes rôder dans les rues, à la recherche d’eau ou de nourriture? Ce n’est qu’une inquiétude, une idée qui me passe par la tête quand je marche dans les décombres… Les personnes touchées par un handicap, tant physique qu’intellectuel, sont peut-être, peut-être seulement, les premières victimes de ce drame.

Un pays à rebâtir sera-t-il prêt à le faire avec ses plus exclus?

Pour l’instant, L’Arche est en deuil, par la perte de deux membres du Conseil d’Administration : Schella et Marie-Cécile.

Pour l’instant, L’Arche est en survie, par la perte de deux foyers.

Avant de rebâtir, nous allons découvrir notre nouvelle vie de communauté, ce qui est déjà un énorme défi.

Maintenant, passez le mot : L’Arche Carrefour est en vie et cette vie, elle la partagera avec vous tous.

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