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Points de vue

Écouter, voir...

Jacques Dufresne

 

«J'ai aussi découvert qu'écouter la nature nous apprend merveilleusement à écouter autrui. Lorsque nous écoutons la nature nous sommes obligés de la prendre telle qu'elle est, d'entendre les tonalités, les passions, les émotions qu'exprime le chant des oiseaux et si nous faisons quelques pas un peu plus bas le long d'un sentier, nous entendons un autre chant d'une même espèce mais avec des tonalités et des émotions différentes. Nous apprenons alors que la communication ne réside pas tellement dans ce qui est dit mais dans la façon dont les choses sont dites. C'est la même chose dans la communication entre les humains.

Le silence est comme du sable décapant, écrit Gordon Hempton. Lorsqu'on est tranquille, le silence souffle dans notre esprit et arrache tout ce qui est inconsistant et insignifiant. Ce qui reste est ce qui est réel: la conscience à l'état pur, et les questions les plus cruciales.  Gordon Hempton

  «Ils ont des yeux et ils ne voient pas. Ils ont des oreilles et ils n'entendent pas.» Ainsi chantaient les Psaumes. L'habitude émousse notre sensibilité, affaiblit nos liens d'appartenance, au point de rendre notre vie triste et monotone. Nos plus grandes joies nous sont données dans les rares moments de notre vie où notre attention, avivée par la privation, brise la coquille des habitudes pour nous faire accéder enfin à la lumière du jour, à la musique de la nature, à l'âme des choses et des êtres.

C'est ainsi que Gustav Fechner, le fondateur de la psychologie expérimentale, a découvert l'âme des fleurs. Suite à plusieurs années de surmenage, il avait sombré dans une étrange dépression accompagnée d'une maladie des yeux qui l'obligea à vivre dans l'obscurité pendant toute la durée de sa cure, c'est-à-dire trois ans. Quand il ouvrit les yeux pour la première fois, à la lumière du jour, il fut ébloui jusqu'à l'extase par les fleurs et il conserva à jamais la conviction qu'elles ont une âme.

«Je me souviens très bien encore de l'impression que j'éprouvai quand pour la première fois, après plusieurs années d'une maladie des yeux et de réclusion dans une chambre obscure, je pénétrai, sans bandeau sur les yeux, dans le jardin en fleur. Il me sembla que mon regard m'emportait au-dessus de la condition humaine, que chaque fleur m'éblouissait de sa propre lumière, comme si elle versait dans la lumière extérieure je ne sais quel rayon de sa lumière intérieure. Le jardin entier me parut lui-même transfiguré, comme si ce n'était pas moi, mais la nature qui ressuscitait. Et je pensais que c'était bien le moment de rendre à mes yeux toute leur fraîcheur pour permettre à une nature vieillie de retrouver sa jeunesse. On ne saurait croire à quel point la nature se fait neuve et vivante pour aller à la rencontre de celui qui vient vers elle avec un regard neuf.

L'image du jardin m'accompagna dans la chambre obscure, mais dans la faible lumière, elle n'en était que plus claire et plus belle et j'ai cru voir tout à coup une lumière intérieure à la source de la clarté extérieure des fleurs et la genèse spirituelle de couleurs qui se limitaient à transparaître à l'extérieur. Je ne doutais pas alors que je voyais briller l'âme des fleurs et je pensais, dans l'émerveillement et l'extase : voilà à quoi ressemble le jardin au-delà du mur de ce monde et toute la terre et tout le corps de la terre n'est que la clôture autour de ce jardin pour ceux qui sont encore à l'extérieur.» 1

La nature se fait tout aussi neuve et vivante pour celui qui vient vers elle avec une oreille neuve. C'est ce qu'a découvert un jeune botaniste américain, Gordon Hempton, au moment où il a fait la découverte du silence animé de la forêt. Le bruit dont il avait eu l'habitude jusque-là semble avoir eu sur lui le même effet que l'obscurité sur Fechner: le priver de la musique des choses. Quand il s'en éloigna, ce fut pour découvrir dans l'enchantement que le silence de la nature, ou plutôt sa musique protégée contre les bruits d'origine humaine, était pour l'oreille l'équivalent d'une fleur pour un regard longtemps privé de lumière.

«Lorsque les prédateurs rôdent, les oiseaux et les grenouilles et même les insectes sombrent dans le silence. Ne vous demandez pas pourquoi les humains sont attirés vers les endroits où les oiseaux se sentent assez en sécurité pour chanter.  Ni pourquoi nous sourions lorsque nous entendons la nuit un choeur de grenouilles. Mais dans les villes pleines de cacophonie, nous sommes toujours aux aguets, toujours à tressaillir de la même façon que les cerfs se mettent à trembler lorsqu'ils s'abreuvent dans une rivière pleine de bruit. »2

Le bruit d'un moteur d'avion ou de voiture dans ce contexte n'est pas seulement une fausse note, c'est un prédateur mécanique dont nous ignorons l'effet sur ce paysage sonore que Gordon Hempton appelle le soundscape. On voit des chiens domestiqués comme le Montagne Pyrénée s'attaquer aux voitures comme s'il s'agissait de l'un de ces monstres vivants qu'il a pour mission de faire fuir en les agressant .  Que doivent donc être les mouvements instinctifs, de fuite ou d'agression, qui s'ébauchent dans le psychisme des animaux sauvages et même des frêles insectes? Il y a là, c'est le moins qu'on puisse dire, un mystère qui mérite notre respect. Au lieu de profaner ce mystère par des bruits importuns, nous devons, dit Gordon Hempton, lui accorder toute notre attention, nous recueillir pour mieux l'accueillir en nous.

«De même que les animaux ont des niches écolologiques, de même ont-ils des niches auditives définies par les paysages sonores dans lesquels ils vivent. La violence du bruit détruit cet habitat auditif . Le chant des oiseaux disparaît le long des autoroutes qui sont effectivement de vastes sentiers de sons bruyants ou incessants qui s'enfoncent profondément dans les foêts et les clairières en réduisant le nombre d'habitats des oiseaux  - et parfois en les supprimant complètement. C'est une perte qui touche aussi les humains. De même que les lumières artificielles effacent les étoiles, nos moteurs suppriment les oiseaux et notre expérience de la beauté du monde en est d'autant appauvrie.» 3

Américain malgré tout, Gordon Hempton est passé de la contemplation aux affaires sans trop de difficultés. Il lui fallait bien gagner sa vie pour poursuivre sa mission, qui devint bientôt une croisade pour délivrer les derniers lieux sacrés des bruits humains. Il mit en vente, avec succès semble-t-il, des enregistrements haute fidélité de la musique de ses paysages sonores préférés. En 2005, il lança le projet One Square Inch of Silence.

«En suivant des sentiers et en parcourant la campagne en long et en large, il a cherché l'équivalent d'un pouce carré où il pourrait tendre l'oreille pendant 15 minutes sans entendre un seul son humain, seulement le murmure de son crayon sur du papier mouillé. Dans le Olympic National Park où 95% du territoire sauvage est protégé, il a découvert la plus grande diversité de paysages sonores et les plus longues périodes de calme de la nature à l'intérieur de tout le système des parcs nationaux. »4

 Une fois ces sanctuaires découverts, il lui reste à convaincre les compagnies aériennes de respecter ces espaces, opération qu'il a déjà en partie réussie. Retenons de cette histoire que l'écoute humaine est soumise à la loi des vases communicants, que sa qualité s'élève dans tous les domaines quand elle s'élève dans un domaine particulier: l'écoute de la nature par exemple.

 «Découvrir la nature c'est se découvrir soi-même. En écoutant nous nous transformons et nos actions vont naturellement se faire dans le sens de la protection de ce que nous valorisons le plus.  [... ] J'ai aussi découvert qu'écouter la nature nous apprend merveilleusement à écouter autrui. Lorsque nous écoutons la nature nous sommes obligés de la prendre telle qu'elle est, d'entendre les  tonalités, les passions, les émotions qu'exprime le chant des oiseaux et si nous faisons quelques pas un peu plus bas le long d'un sentier, nous entendons un autre chant d'une même espèce mais avec des tonalités et des émotions différentes. Nous apprenons alors que la communication ne réside pas tellement dans ce qui est dit mais dans la façon dont les choses sont dites. C'est la même chose dans la communication entre les humains5

1-Gustav Theodor Fechner, Nanna, über das Seelenleben der Pflanzen, Verlag von Leopold Voss, Leipzig 1921, postface. Trad: J.D.


2- Orion Magazine

3-Ibid.

4-Green Museum

5-Ibid.

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