�L�homme ne se nourrit pas seulement de biens et de services, mais de la libert� de fa�onner les objets qui l�entourent, de leur donner forme � son go�t, de s�en servir avec et pour les autres. Dans les pays riches, les prisonniers disposent souvent de plus de biens et de services que leur propre famille, mais ils n�ont pas voix au chapitre sur la fa�on dont les choses sont faites, ni droit de regard sur ce qu�on en fait. D�grad�s au rang de consommateurs-usagers � l��tat pur, ils sont priv�s de convivialit�. J�entends par convivialit� l�inverse de la productivit� industrielle. Chacun de nous se d�finit par sa relation � autrui et au milieu et par la structure profonde des outils qu�il utilise. Ces outils peuvent se ranger en une s�rie continue avec, aux deux extr�mes, l�outil dominant et l�outil convivial. Le passage de la productivit� � la convivialit� est le passage de la r�p�tition du manque � la spontan�it� du don. La relation industrielle est r�flexe conditionn�, r�ponse st�r�otyp�e de l�individu aux messages �mis par un autre usager, qu�il ne conna�tra jamais, ou par un milieu artificiel, qu�il ne comprendra jamais. La relation conviviale, toujours neuve, est le fait de personnes qui participent � la cr�ation de la vie sociale. Passer de la productivit� � la convivialit�, c�est substituer � une valeur technique une valeur �thique, � une valeur mat�rialis�e une valeur r�alis�e. La convivialit� est la libert� individuelle r�alis�e dans la relation de production au sein d �une soci�t� dot�e d�outils efficaces. Lorsqu�une soci�t�, n�importe laquelle, refoule la convivialit� en de�� d�un certain niveau, elle devient la proie du manque; car aucune hypertrophie de la productivit� ne parviendra jamais � satisfaire les besoins cr��s et multipli�s � l�envi.
L'outil est inh�rent � la relation sociale. Lorsque j'agis en tant qu'homme, je me sers d'outils. Suivant que je le ma�trise ou qu�il me domine, l�outil me relie ou me lie au corps social. Pour autant que je ma�trise l�outil, je charge le monde de mon sens; pour autant que l�outil me domine, sa structure me fa�onne et informe la repr�sentation que j�ai de moi-m�me. L�outil convivial est celui qui me laisse la plus grande latitude et le plus grand pouvoir de modifier le monde au gr� de mon intention. L�outil industriel me d�nie ce pouvoir; bien plus, � travers lui, un autre que moi d�termine ma demande, r�tr�cit ma marge de contr�le et r�git mon sens. La plupart des outils qui m'environnent aujourd�hui ne sauraient �tre utilis�s de fa�on conviviale. [...]
L�outil est convivial dans la mesure o� chacun peut l�utiliser, sans difficult�, aussi souvent ou aussi rarement qu�il le d�sire, � des fins qu�il d�termine lui-m�me. L�usage que chacun en fait n�empi�te pas sur la libert� d�autrui d�en faire autant. Personne n�a besoin d�un dipl�me pour avoir le droit de s�en servir; on peut le prendre ou non. Entre l�homme et le monde, il est conducteur de sens, traducteur d�intentionnalit�. �