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Points de vue

Empreinte sociale

Jacques Dufresne

 

Le concept d'empreinte écologique est devenu indispensable dans le débat public sur le réchauffement climatique et le développement durable. Le concept d'empreinte sociale serait tout aussi utile, et d'autant plus qu'il apparaît de plus en plus clairement que dans les changements qui s'imposent, la dimension sociale sera aussi déterminante que la dimension environnementale.  Il ne faut pas renoncer trop vite à trouver les indicateurs qui permettraient de rendre opérationnel le concept d'empreinte sociale.

«Nous avons certes compris le concept d'empreinte écologique, mais nous n'avons pas encore compris le concept des relations sociales brisées.» Woody Tasch, Slow Money.

En quelques années, le concept d'empreinte écologique s'est répandu au point d'apparaître comme un lieu commun de l'écologie et il a sûrement contribué à inciter les gens à des comportements plus respectueux à l'égard de la nature. Le concept d'empreinte sociale s'impose. Notre mode de vie peut avoir pour effet de briser des rapports sociaux comme il peut avoir pour effet de provoquer des déséquilibres dans la nature et il arrive souvent qu'un même choix, un même comportement nuise à la fois à la nature et à la société.

Woody Tasch l'a bien compris. Dans Slow Money, il écrit: «En accordant la priorité aux marchés plutôt qu'aux familles, à la communauté, à la place et à la terre,  l'économie moderne a fait violence aux relations humaines qui soutiennent la santé et donnent à la vie un sens durable: les liens familiaux, les liens communautaires, les liens entre les producteurs et les consommateurs, entre les investisseurs et les entreprises dans lesquelles ils investissent, entre les entreprises et les lieux où elles font leurs affaires; les liens avec la terre et les liens à l'intérieur du sol. Ces liens sont ou bien affaiblis, ou bien à la limite rompus par l'économie globale moderne. »

Pour illustrer son propos, Woody Tasch raconte l'histoire du chef d'une entreprise dont les bureaux étaient dans l'une des tours du World Trade Center. Le 11 septembre 2001, il a été ruiné. Quand par la suite, il a voulu relancer son entreprise, il est entré en contact avec des contacts justement; ils avaient tous une situation enviable à Wall Street. L'un d'entre eux lui a même répondu: «Pourquoi ne vous adressez-vous pas à monsieur Obama ben Laden?» Notre homme d'affaires a compris alors qu'il n'avait aucune relation avec ces gens, qu'il n'avait eu que des liens commerciaux avec eux, que les relations d'affaires ne sont pas des relations réelles.

Une relation est réelle quand elle enferme un minimum de compassion. Ce minimum n'existait pas dans ce cas. Parce que dans l'échelle des valeurs des personnes en cause, le profit, l'intérêt personnel sont mis bien au-dessus de l'amitié et de la solidarité.

Le concept d'empreinte sociale serait donc très utile, mais pourrait-on le quantifier comme on l'a fait pour le concept d'empreinte écologique, de façon à ce qu'il frappe l'imagination des gens? On voit mal comment on pourrait y parvenir, compte tenu du fait que la différence entre une relation réelle et un simple contact est d'ordre qualitatif. On pourrait toutefois repérer un certain nombre d'indicateurs indirects semblables à ceux qui permettent de calculer l'empreinte écologique. Le nombre d'intermédiaires entre le producteur d'un bien et l'acheteur pourrait être l'un de ces indicateurs. Certes, on ne devient pas l'ami de tous les producteurs de qui on achète directement un bien, mais il est clair que plus on se rapproche de zéro dans l'échelle du nombre d'intermédiaires, plus les chances d'établir un rapport vraiment humain sont grandes, surtout si le bien en cause est important pour nous, comme c'est le cas pour la nourriture de l'esprit ou du corps. La taille des magasins où l'on fait régulièrement ses courses, la distance à parcourir pour les atteindre, à pied ou en voiture, pourraient aussi être prises en compte. Le temps passé dans une voiture ou un moyen de transport public où l'on ne parle à personne pourrait être un autre indicateur. Ce temps est un temps mort socialement. Le temps gagné sur ce plan ne se transformerait pas nécessairement en temps vivant. Le désir de nouer des liens réels, l'aptitude à les créer et à les faire durer dépend d'une disponibilité intérieure qui elle-même suppose qu'on ne soit pas engagé dans une activité si accaparante qu'elle fasse apparaître l'attention à l'autre comme une distraction à éviter. Le temps libre demeure tout de même une condition du souci de l'autre. D'où l'importance des offices religieux et des autres temps ritualisés, comme le voyage annuel en famille, qui nous sortent de la trajectoire habituelle qui nous emporte non vers la vraie fin, l'amour et tout ce qui s'en rapproche, mais vers des fins secondaires qui ne sont en réalité que des moyens.

Quelle serait l'utilité de l'empreinte sociale? N'aurait-elle pas pour effet de servir d'outil à une nouvelle forme d'engineering social? Appliquée à des projets de développement précis, elle aurait au moins l'avantage d'améliorer l'analyse de l'impact social, lequel, bien qu'on le prenne en considération, a encore beaucoup moins d'importance que les études d'impact environnemental.

C'est dans cet esprit que le Center for sustainable innovation a présenté les principes d'une méthode de calcul de l'empreinte sociale. L'adjectif social désigne ici trois choses: le capital social proprement dit (les réseaux, etc.), le capital humain (santé personnelle, connaissances, etc.) et le capital construit (routes, édifices etc.) Si l'on en juge par les résultats d'une recherche en ligne sur Social footprint, le nouveau concept n'a pas encore suscité beaucoup d'intérêt.

Une recherche sur Social Pedjada et Soziale Fussabdruck ne donne guère plus de résultats. De nombreux Français en revanche utilisent l'expression empreinte sociale, mais sans préciser de méthode pour la calculer. Sur un blogue, je trouve par exemple une invitation à encourager une économie permettant aux habitants de réduire leur empreinte écologique et d’augmenter leur empreinte sociale, en participant à un mouvement de relocalisation des activités de production et de consommation et en développant des comportements responsables et solidaires. L'auteur semble avoir adopté les principes du Center for sustainable Innovation, lequel propose, pour l'empreinte sociale, une méthode telle que c'est le quotient supérieur à 1 qu'il faut encourager, alors que dans le cas de l'empreinte écologique le quotient élevé est une mauvaise note.

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