
Quand la fleur d'un arbre fruitier ne reçoit pas la visite des insectes pollinisateurs, elle se dessèche sans porter le fruit qui attirerait le regard de l'homme et nourrirait un oiseau, créant ainsi de nouveaux liens dans le milieu vivant. Elle souffre de solitude, ses liens d'appartenance sont brisés.
Même et surtout quand ils ne sont plus dans leur fleur, les êtres humains ont besoin d'être fécondés par des présences humaines et par d'autres formes de vie: plantes, animaux, oeuvres d'art. C'est par de tels liens qu'ils appartiennent à un milieu vivant, qu'ils enrichissent à leur tour leur propre vie.
L'appartenance, c'est le lien vivant.
Dans une communauté humaine riche, la pollinisation est assurée par la multitude de de ces brèves rencontres qui ponctuent la vie quotidienne: à la maison, au marché, à l'école, à l'église, au parc, chez le marchand général, dans la rue, au restaurant. Chaque fois qu'un de ces lieux disparaît, des liens d'appartenance se brisent.
L'éthologiste Konrad Lorenz avait la fâcheuse habitude d'arriver toujours en retard à ses cours de l'Institut Max Planck de Munich. Il faisait le trajet à pied, un trajet rempli d'imprévus et d'occasions de s'arrêter. Pour l'aider à se discipliner, ses étudiants ont, à l'aide d'une carte de la ville, tracé le trajet le plus court, sans se soucier de l'aménité des rues empruntées pour cette opération rationnelle. Le maître se plia à cette règle pendant quelques jours. Il arriva toujours à l'heure, mais dans une humeur telle que ses étudiants eurent bientôt la nostalgie du passé, comprenant que le temps perdu par rapport à l'horaire était de l'humanité retrouvée, pour eux comme pour lui. Le trajet habituel de Lorenz était ponctué de points d'humanité, de boutiques ouvertes sur la rue où une boulangère, un boucher, un cordonnier, une fleuriste élevaient leurs regards et leur pensée, pour saluer en Konrad Lorenz un représentant de l'humanité.
