
Le mot vie a deux sens bien différents qui sont en conflit aussi bien dans nos esprits que dans la réalité. Il y a d'un côté la vie qu'étudient les biologistes, la vie comme fait, qui se prête à une connaissance objective et de l'autre, cette réalité mystérieure, la vie comme qualité, que l'on ne peut connaître que subjectivement et dans la mesure où l'on est soi-même vivant. La vie comme fait occupe presque tout l'espace dans la culture savante1 et le consensus parmi les biologistes est qu'elle se réduit à des processus physico-chimiques et que, par suite, les êtres vivants sont des machines dont on peut expliquer le fonctionnement par des analyses quantitatives. La vie comme qualité occupe presque tout l'espace dans le langage courant, demeuré vitaliste.
Selon le contexte, le mot vie désigne donc soit la machine, soit la qualité, mystérieuse, irréductible, qui se manifeste à des degrés divers d’accomplissement, non seulement dans le grand organisme terre-atmosphère, Gaia, dans les plantes et les animaux, dans les hommes, mais aussi dans les œuvres des animaux, dans les sentiers qu’ils tracent, dans leur habitat et à plus forte raison dans les œuvres d’art des humains.
C'est seulement dans ce second sens, celui du langage courant, que la vie est un lieu d'appartenance. Nous emprunterons cette définition de la vie au paysan philosophe et poète américain Wendel Berry : «La vie ne peut être connue que par l’expérience qu’on en a. En avoir l’expérience, ce n’est pas se la représenter (to figure it out), ce n’est même pas la comprendre, c’est en souffrir et s’en réjouir telle qu’elle est. »
Attention à l'expression qualité de la vie qui est une tautologie! On n'a pas à ajouter une qualité de l'extérieur à la vie. Elle est elle-même qualité. On entend par qualité de la vie la proximité d'un parc, d'un höpital, etc. Il faudrait donc plutôt parler des commodités de la vie.
Célébrer la vie, prendre exemple sur elle, à l’époque, récente, où elle était encore toute puissante et perçue comme une menace, c’était donner prise à des doctrines justifiant la cruauté à l’égard des faibles. On peut en effet associer l’eugénisme et les hiérarchies rigides des régimes totalitaires à un certain culte de la vie. Elle est aujourd’hui une chose fragile entre nos mains. Elle était notre mère, elle est devenue notre enfant, un enfant handicapé. Et l’on ne pourrait plus désormais séparer la sollicitude pour la vie, pour la biosphère, de la sollicitude pour ses incarnations les plus fragiles.
1- Il faut noter que tout change très vite en ce moment dans cette culture savante. Les biologistes travaillant dans la perspective des sciences de la complexité sont de plus en plus nombreux et de plus en plus critiques à l'endroit d'un réductionnisme qui, hier encore, avait valeur de dogme. L'un d'entre eux, Brian Goodwin, se rattachant à Goethe, réhabilite le regard subjectif sur les organismes au point de le considérer comme une science de la qualité devenue à ses yeux un complément nécessaire à la science de la quantité. Voir How the Leopard changed its Spots, The Evolution of Comlexity, Princeton University Press, 2001
«Whenever one treats living organisms as machines they must necessarily be perceived to behave as such. And I can see that the proposition is reversible: whenever one perceives living organisms as machines they must necessarily be treated as such.»
Wendell Berry, Life is a mircale.